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Yves Hamant : “Pour Alexandre Men, le christianisme ne faisait que commencer”

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Il y a 30 ans, le 9 septembre 1990, Alexandre Men, prêtre orthodoxe, grande figure spirituelle en Union soviétique, était assassiné à coups de hache sur le chemin de son église. Attaché culturel à l’ambassade de Moscou de 1974 à 1979, premier traducteur de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, Yves Hamant a eu avec lui une relation d’amitié pendant 20 ans. Il est l’auteur d’une biographie d’Alexandre Men, parue en 2000.


Vous souvenez-vous du moment où vous avez appris la mort du prêtre orthodoxe Alexandre Men ?


Bien sûr… Cela a été un gros choc. Des amis français à Moscou m’ont appelé. Je n’ai pu aller à son enterrement, qui a eu lieu très rapidement, mais j’ai réussi à me rendre à l’office du neuvième jour. Pour beaucoup de ses amis, un monde s’écroulait. Mais beaucoup se sont relevés et ont repris courage. La phrase de Jésus selon laquelle « si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12, 24) s’est révélée très vraie en ces circonstances. Parce que si son influence est difficilement mesurable tant elle est diffuse, elle est bien réelle.


Comment avez-vous connu Alexandre Men et quels souvenirs gardez-vous de lui ?


J’ai fait sa connaissance par l’intermédiaire d’une Française d’origine russe, Assia Douroff, qui travaillait à l’ambassade de France dans les années 1960. Étant donné sa maîtrise parfaite de la langue russe, qui était sa langue maternelle, sa double culture russe et française, et son double attachement au catholicisme et à l’orthodoxie, elle était entrée en relation avec un groupe de jeunes, les premiers enfants spirituels du père Alexandre Men, qui avait alors une trentaine d’années. Dans les années 1970, de passage à Moscou, j’ai passé quelques jours chez elle, et elle m’a parlé de lui. Je suis allé le trouver, aussi discrètement que possible, dans la paroisse où il venait de s’installer, dans les environs. Il m’a reçu avec beaucoup de bienveillance et de joie. À chaque fois que je suis allé le revoir par la suite, je prenais un tas de précautions pour ne pas lui attirer d’ennuis. Je prenais le train, le bus, je cherchais mon chemin sans oser le demander à quiconque. Puis j’arrivais dans son presbytère et je ressentais un profond apaisement : il enlevait tout le stress. Cette joie rayonnante, je ne l’ai pas oubliée, c’est cette image que je garde de lui.


Quel genre de prêtre était-il ?


Il était avant tout le pasteur des intellectuels soviétiques qui, à la fin des années 1960 et dans les années 1970 étaient en recherche, ne pouvant plus être convaincus par l’idéologie soviétique, complètement morte, et qui trouvaient en lui un interlocuteur capable de leur parler de science, de cinéma, de littérature… Et en même temps, il était capable de parler avec tout le monde, comme les petites mamies, les babouchkas, de son église. Il avait la capacité d’être totalement ouvert à chacun et tous ceux qui le connaissaient avaient l’impression d’être son meilleur ami. À la fin, on s’est aperçu que le père Men avait de nombreux meilleurs amis ! Il était profondément empathique.

Quand j’arrivais dans son presbytère, je ressentais un profond apaisement : il enlevait tout le stress.

Il était très attentif à l’inculturation, à la nécessité de parler à la société dans son langage : mais dans quel langage pouvait-il parler à la société soviétique, essorée par des années d’idéologie totalitaire ?

Son entrée dans la culture soviétique, c’était, au fond, la science. Les Soviétiques ont été formés dans le scientisme, et il entrait en relation par cet angle-là d’autant plus aisément qu’il était un véritable scientifique. Il a écrit que, dans un autre contexte, il aurait aimé être chercheur et prêtre, comme Pierre Teilhard de Chardin…


Sa mère était juive non pratiquante ; comment la famille est-elle passée à l’orthodoxie ? Et comment assumait-il ses racines juives ?


Sa mère était d’origine juive, d’une famille juive non pratiquante, mais surtout élevée dans l’athéisme. Elle avait découvert le Christ dans son adolescence, un peu par hasard, mais le problème était qu’en Russie l’antisémitisme était très répandu dans l’Église. Pour un juif russe, devenir orthodoxe était une véritable trahison. Les choses ont changé après la révolution : les orthodoxes étaient à présent persécutés. Avant la naissance de son fils, sa mère était entrée en relation avec un moine orthodoxe, qui vivait caché, par le biais d’une correspondance secrète, et grâce à cela, elle avait pu franchir le pas. Et quand elle avait pu, elle avait fait baptiser son fils dans les catacombes. Le père Alexandre a toujours assumé cette double appartenance au Christ et au peuple élu, et il considérait que c’était une double responsabilité.


Quel est son principal apport théologique ?


Pendant un certain temps en Occident, on a considéré Alexandre Men comme un prêtre audacieux, courageux, dont le ministère était conditionné par le contexte soviétique, et particulièrement l’absence de liberté religieuse. On peut en faire une lecture différente, beaucoup plus actuelle. Pour moi, c’est un pasteur pour les temps de sécularisation, qui répond à tous les défis posés par la sécularisation puisque, précisément, il a vécu et exercé son ministère dans un monde marqué par une sécularisation maximale. Voilà pourquoi il me semble très actuel et consonne avec beaucoup de questions qui agitent aujourd’hui de nombreux catholiques.

Au fond, il apporte des réponses à des questions soulevées par des théologiens comme Christoph Theobald, dans Urgences pastorales par exemple, comme le fait que l’on ne peut pas s’appuyer sur un substrat culturel chrétien qui a disparu. Sa conviction est qu’il faut chercher les gens dans leur culture, telle qu’elle est. On ne trouve chez lui aucune nostalgie : il a toujours mis en garde contre cela et contre la tentation des convertis orthodoxes de fuir le monde et de vivre comme des émigrés de l’intérieur. Évidemment, dans ce monde soviétique très hostile et antichrétien, les néoconvertis pouvaient avoir la tentation de se réfugier dans un monde intérieur, de se barricader… Il concevait bien qu’il fallait se protéger, mais pas par des barrières complètement étanches. C’est une grande leçon qu’il nous laisse, à mon avis.

Sa conviction est qu’il faut chercher les gens dans leur culture, telle qu’elle est.

Il y a aussi l’insistance sur le fait que le christianisme n’est pas d’abord une doctrine, un dogme, une morale, mais Jésus-Christ qui vit en nous… Bien sûr, la morale existe, mais c’est second. L’autre aspect de son enseignement, c’est la dynamique de la bonne nouvelle et du Royaume à venir. Pour lui, le salut se construit ici-bas, ce n’est pas un événement qui se produit à la fin des temps mais un processus, et le jugement de Dieu a lieu déjà ici et maintenant.


« Le christianisme ne fait que commencer », pour citer ses propres mots…


Oui, c’est cela. C’est frappant ! Alors que nous nous demandons comment être chrétiens dans un monde qui a cessé de l’être, cette nostalgie-là lui était étrangère. Cette formule, « le christianisme ne fait que commencer », décoiffe, et elle a eu beaucoup d’écho. Et en même temps, cela résume une grande partie de son ministère et de son enseignement. C’est cette réflexion que prolonge, sous une forme sans doute plus radicale encore, le frère dominicain Dominique Collin dans Le christianisme n’existe pas encore.


Comment expliquer son engagement œcuménique ?


Il lui est venu par ses lectures, notamment par l’œuvre du philosophe Vladimir Soloviev, par des rencontres, par la découverte de la personnalité de Jean XXIII, mais c’est avant tout l’aboutissement d’une réflexion, d’un cheminement personnel.


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