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Xavier Moreau sur la crise Ukrainienne
Saint-Cyrien et officier parachutiste, titulaire d’un DEA de relations internationales à Paris IV Sorbonne, spécialisé sur les relations soviéto-yougoslaves pendant la guerre froide. Installé en Russie depuis 15 ans, il dirige la société LinkIT Vostok. Il est l'auteur de la "Nouvelle Grande Russie" et de "Ukraine, Pourquoi la France s'est trompée ?".
Cette vidéo arrive, comme promis, en suite à celle faite sur la crise de l’église orthodoxe en Ukraine. Nous ne reviendrons pas sur cette crise. Nous referons une vidéo quand le cycle sera définitivement terminé. Mais ce que l’on peut dire aujourd’hui c’est que ce qui se passe en Ukraine depuis 2014 est toujours entre le tragique et le grotesque, sachant que le grotesque l’emporte plutôt.
Je voudrai profiter de cette crise, qui finalement correspond à l’immixtion du pouvoir temporel, du pouvoir de l’Etat dans la vie d’une Eglise, pour tirer des leçons du point de vue historique et des éléments de comparaison avec des événements de l’histoire de la Russie ou de l’Europe en général.
En Europe Occidentale, la séparation du temporel et du spirituel date d’il y a à peu près 1000 ans dans ce qu’on a appelé la Réforme Grégorienne. On ne reviendra pas sur cette Réforme mais je vous recommande, pour ceux que cela intéresse, le livre de Sylvain Gouguenheim (La Réforme Grégorienne, De la lutte pour le sacré à la sécularisation du monde), qui est un excellent médiéviste, d’avantage connu pour un autre ouvrage, Aristote au Mont Saint-Michel, que je vous recommande également même si ce n’est pas le sujet de notre vidéo, qui traite de la manière dont l’héritage philosophique grec nous est parvenu en Europe occidentale.
Revenons à la séparation du temporel et du spirituel caractéristique de la civilisation chrétienne en tant qu’elle illustre le fameux « rendez à César ce qui est à César ».
On peut dire que paradoxalement, la France s’est construite en opposition aux tentatives impériales et aux tentatives d’hégémonie temporelle de Rome sur les Nations. Ainsi, un roi pourtant sanctifié comme Saint Louis, s’est affirmé contre les pouvoirs de la Papauté. En France, nous n’avons pas attendu 1905, pour avoir une séparation du temporel et spirituel. A cette époque, il n’y a avait pas de guerre de religion, donc aucune raison de s’en prendre à la religion catholique comme l’a fait la IIIème République, sauf pour des raisons idéologiques, ce qui était le cas.
Ce qui est intéressant également, c’est que ce qu’il se passe en ce moment en Ukraine a aussi eu lieu en France car dès l’instant que le pouvoir temporel a été indépendant de Rome en France, il a voulu contrôler aussi sa propre Eglise, d’où la Déclaration de quatre articles qui a échoué à mettre en place l’Eglise Galicane. Plus tard, au moment de la Révolution Française, un événement a lieu, lequel correspond exactement à ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine : on exige des prêtres qu’ils prêtent serment sur la Constitution, ce qui est problématique du point de vue de la liberté de la foi, d’où l’apparition des prêtres jureurs et prêtres réfractaires, fidèles à Rome et à leur foi. Soulignons par ailleurs, ce qui est utile pour anticiper ce qui va se passer en Ukraine, que ces prêtres jureurs, une fois que l’Etat a cessé de les payer, ont laissé place à l’Eglise légitime catholique qui l’a emportée.
L’Eglise orthodoxe de Russie donne un exemple plus profond de l’empiétement du temporel sur le spirituel qui ne date d’ailleurs pas de l’URSS mais de Pierre Le Grand, qui était sous l’influence d’une éminent théologien de l’époque, Théophane Prokopovitch, qui lui-même est passé par le Vatican et a ensuite été très attiré par la Réforme, où il n’y a pas de véritable séparation entre temporel et spirituel. Tout est systématiquement sur le principe du cujus regio, ejus religio, qui est un peu la règle qui sort des guerres de religions et de la Guerre de Trente Ans, c’est-à-dire la règle disant que les peuples ont la foi du Prince, ce qui s’oppose à la liberté de la foi.
Ainsi, par exemple, dans le Royaume de Suède, quand Bernadote s’en empare, sa femme et ses enfants catholiques doivent avoir une dérogation spéciale du Parlement suédois pour garder leur religion. De la même manière, la séparation du temporel et du spirituel pour la Suède protestante date de l’année 2000.
Si on regarde l‘Angleterre, le chef de l’Etat est aussi le chef de l’Eglise, c’est la Reine d’Angleterre. L’Eglise anglicane peut être assimilée aux églises réformées.
Aux Etats-Unis, on prête serment sur la Bible et sur les billets, il est inscrit « In God We Trust ». On peut éventuellement discuter de quel Dieu il s’agit, mais le fait est qu’il y a un aspect fusionnel entre le temporel et le spirituel qui est amené par la Réforme Protestante.
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