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Une attaque sur deux fronts contre l’orthodoxie et la Russie

Article de James Georges Jatras, traduit par Soverain
Tandis que le président américain Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine se préparent à se rencontrer à Helsinki, tous les regards sont tournés vers ce qui est généralement perçu comme les enjeux politiques « habituels » qui divisent les deux principales puissances militaires du monde : Ukraine, Syrie, sanctions, allégations d’ingérence électorale, etc. Cela reflète l’opinion quasi unanime mais inexacte selon laquelle cette seconde guerre froide n’est pas idéologique, par opposition à la première guerre froide qui opposait le communisme soviétique athée au capitalisme américain « en Dieu nous croyons ». (Ne cherchons pas à savoir ici si le « capitalisme », un terme anarcho–socialistepopularisé par les marxistes, est la description appropriée du corporatisme néolibéral contemporain).
Non, nous dit-on, l’affrontement actuel entre Washington et Moscou est une guerre de territoire, rien de plus. Contrairement à la rivalité 1945-1991, elle « est dépourvue de dimension idéologique » au-delà de cette volonté de pointer du doigt « l’Etat russe, gouverné par lui et son clan ».
Un tel point de vue rejette totalement le fait qu’à la suite de la chute du communisme en tant que puissance mondiale, il y a eu un étrange renversement des rôles idéologiques entre l’Est et l’Ouest. S’il est vrai que pendant la première guerre froide, les élites non croyantes de Washington et de Moscou avaient des valeurs progressistes fondamentalement compatibles, les chrétiens américains ordinaires (principalement protestants, avec un grand nombre de catholiques romains) considéraient le communisme comme une idéologie oppressive criminelle et impie (pensez à la campagne des Chevaliers de Colomb pour ajouter « sous Dieu » dans le Serment d’allégeance). Inversement, ce sont aujourd’hui les élites occidentales qui s’appuient sur un impératif idéologique de « démocratie » et de défense des « droits de l’homme » pour justifier un empire mondial matérialist et des guerres interminables, tout comme l’ancienne nomenklatura soviétique dépendait du marxisme-léninisme à la fois comme méthodologie de travail et comme justification de leurs prérogatives et privilèges. A cet égard, l’encouragement de la morale nihiliste et post-chrétienne – en particulier en matière de sexualité – est devenue un élément majeur de la boîte à outils de l’Occident.
Cela a une importance particulière pour la Russie, où, sous Poutine, l’Église orthodoxe a largement repris son rôle d’avant 1917 en tant que fondement moral de la société. Cela suscite non seulement une opposition politique, mais aussi une haine profonde et sincère de la part des élites postmodernes d’un Occident de plus en plus post-chrétien, non seulement vis-à-vis de Poutine et de la Russie en général, mais aussi contre l’Église orthodoxe russe – et, par extension, contre le christianisme orthodoxe lui-même.
Cette antipathie a de multiples facettes, trop nombreuses pour être détaillées en une seule fois dans cet article. Mais pour l’heure, il suffira de noter deux attaques en cours, toutes deux provenant de l’Orthodoxie elle-même, mais sans doute avec des encouragements extérieurs. L’une de ces attaques concerne les structures ecclésiastiques et est donc clairement politique. L’autre est de nature morale et cherche à injecter dans l’orthodoxie la décadence morale qui a tant fragilisé le christianisme occidental.
La première attaque, ouvertement politique, vise à séparer l’Ukraine du corps principal de l’Église orthodoxe russe sous l’autorité du patriarche Kirill de Moscou. Les autorités post-Maidan à Kiev, à savoir le président ukrainien Petro Porochenko et la Verkhovna Rada (parlement), ont demandé au Patriarche œcuménique Bartholomew de Constantinople (Istanbul) de délivrer un Tomos d’autocéphalie à l’ « Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev », dirigée par l’ancien métropolite Filaret (Denysenko). Dans un tel cas, les autorités ukrainiennes décréteraient que l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne canonique, qui est une émanation autonome de l’Église orthodoxe russe sous l’autorité du métropolite Onufry, serait interdite de s’appeler « ukrainienne » et serait donc considérée comme un symbole d’un pouvoir « agresseur ». La délivrance d’un Tomos ouvrirait également la voie à la confiscation de force par le gouvernement des églises et des monastères de l’église canonique du métropolitain Onufry et à leur cession à l’organisme schismatique approuvé par l’État, la Laure de Kiev Pechersk (Grottes) et la Laure de la Dormition Sainte Pochayiv en Ukraine occidentale étant les cibles les plus probables.
De leur côté, les responsables ukrainiens affirment que leurs chances d’obtenir le Tomos sont quasiment certaines, mais jusqu’à présent, les déclarations officielles du Patriarche œcuménique Bartholomew ont été mitigées. Récemment, des observateurs pro-Moscou ont annoncé que le Patriarche œcuménique avait rejeté la demande de Porochenko après une visite des évêques de l’Église ukrainienne affiliée à Moscou. D’autres rapports, cependant, indiquent que Constantinople considère comme une question non résolue le fait de savoir si, avant toute chose, les zones constituant aujourd’hui l’Ukraine ont été définitivement transférées à la juridiction de Moscou – ce à quoi une voix, « L’Orthodoxie dans le dialogue » (sur laquelle nous reviendrons plus loin), a applaudi comme étant une « fragilisation de la position de Moscou ».
Du point de vue des pays occidentaux, où les questions ecclésiastiques ont depuis longtemps cessé d’avoir des conséquences politiques de vie ou de mort, la situation de l’Église ukrainienne peut sembler archaïque, voire bizarre, surtout dans une partie du monde qui, il n’y a pas si longtemps, était sous la domination des militants laïques. Quoi qu’il en soit, la crise ukrainienne en cours s’inscrit dans un schéma lugubre de puissances hostiles à l’orthodoxie qui tentent de créer de nouveaux organes ecclésiastiques pour servir leurs objectifs politiques. Les plus célèbres sont la prétendue création d’une « Église orthodoxe croate » en 1942 sous le régime génocidaire du dictateur Ustaša Ante Pavelić servant de couverture pour le génocide des Serbes orthodoxes dans l’État dit « indépendant de Croatie », et l’ « Église vivante » (également appelée rénovationiste) formée au début de la Russie soviétique pendant la période la plus meurtrière de la persécution communiste antireligieuse.
L’enjeu aujourd’hui n’est pas seulement la paix en Ukraine – où la violence concernant les transferts d’églises imposés par l’État est une préoccupation réelle – mais aussi la paix dans le monde orthodoxe dans son ensemble. Bien que la distinction accordée au Patriarche œcuménique en orthodoxie ne soit pas comparable à celle du Pape de Rome dans sa confession, il parle avec humilité et autorité en tant qu’évêque de l’ancienne capitale impériale et ville la plus ancienne de la chrétienté. D’autre part, les fidèles de l’Église de Russie sous le Patriarcat de Moscou tel qu’il est actuellement structuré (y compris l’Ukraine) représentent une écrasante majorité des chrétiens orthodoxes du monde. Un geste imprudent pourrait déclencher une rupture majeure, non seulement en Ukraine, mais dans le monde entier, les Églises nationales constituantes étant forcées de prendre parti. Pour sa part, le patriarche Irinej de l’Église orthodoxe serbe s’est fermement opposé aux autorités de Kiev et à leur Église autonome en devenir : « Quiconque aide les schismatiques ukrainiens est un ennemi non seulement de l’Église russe et du monde russe, mais aussi de toutes les nations slaves orthodoxes et du monde orthodoxe tout entier ».
Passant de la sphère structurelle à la sphère morale, les excellents sites Fort-Russ et Pravmiront récemment publié un commentaire, « Orthodoxie, capitalisme, et l’Ouest : le christianisme orthodoxe est-il figé dans le passé ? » par Nathaniel Wood, reconnu comme un universitaire en théologie et théologie politique orthodoxe, et est directeur associé du Centre d’études chrétiennes orthodoxes de l’Université de Fordham. Le texte commence par une observation incontestable portant principalement sur des questions économiques :
La théologie politique orthodoxe a souvent été fortement communautariste, sceptique à l’égard de la rationalité de l’ordre juridique et dépendante de la bienveillance d’un régime autocratique. Dans… La Russie, par exemple, le mouvement slave influent du XIXe siècle a fait l’éloge de la commune paysanne russe comme la plus haute forme d’expression des principes sociaux orthodoxes et en a même fait la base de leur modèle d’Église (la notion de sobornost). La société orthodoxe idéale des Slaves n’était pas seulement ouvertement anticapitaliste, allant jusqu’à fonder toute propriété comme une obligation sociale, mais elle critiquait également la culture « rationaliste » des institutions juridiques derrière le capitalisme occidental, au point d’investir toute l’autorité politique à un autocrate par crainte qu’une société fondée sur les droits juridiques ne soit contraire à l’orthodoxie.
En réponse au commentaire de M. Wood sur l’économie, le professeur Jonathan Chaves, de l’Université George Washington, fait remarquer en tant que chrétien orthodoxe :
Il est parfaitement possible et respectable d’être un chrétien conservateur et malheureux dans une « Ploutocratie ». La ploutocratie est le conglomérat ou le regroupement de petites entreprises en grandes sociétés multinationales. Dans les années 1920, G.K. Chesterton et Hilaire Belloc, deux catholiques romains dévoués, ont fondé une doctrine nuancée, le distributisme. Les distributistes ont dit « non » au socialisme, reconnaissant que la propriété privée est une pierre angulaire de la Liberté ; et « non » à la Ploutocratie, se rendant compte qu’elle a conduit à de grandes structures ramenant le pouvoir à elles-mêmes. Ils ont dit « Oui » aux petites entreprises privées. Et nous devrions tous en faire autant. Si cette discussion n’a lieu qu’au sein de l’Église orthodoxe, elle restera une tempête dans un verre d’eau. Entendons nous avec ceux avec qui nous pouvons nous mettre d’accord sur des points spécifiques.
Jusqu’à présent, tout va bien. C’est une chose de se demander si les chrétiens orthodoxes devraient accepter sans discernement l’ordre mondial néolibéral et son système économique et financier corporatiste (« capitalisme »). Ni les Écritures, ni les Canons des Synodes œcuméniques et régionaux, ni les Pères de l’Église n’avaient beaucoup à dire sur ce système, simplement parce qu’il n’existait pas à leur époque. Le socialisme non plus, d’ailleurs.
Mais c’est une autre paire de manche de redéfinir, sous couvert d’érudition, des principes moraux qui précèdent de loin l’ère moderne et qui sont au cœur de l’anthropologie chrétienne. Aujourd’hui, comme indiqué plus haut, ces principes sont menacés dans une Europe occidentale et une Amérique du Nord de plus en plus impie. De plus, d’une manière qui rappelle les attaques bolchéviques du XXe siècle contre le christianisme (y compris l’Église dite « Vivante »), l’Occident a fait de l’agression morale contre les pays socialement conservateurs de l’Europe anciennement communiste un élément clé de sa politique étrangère. (Voir mon « La quête occidentale pour sauver le monde grâce à la décadence »).
Il est évident qu’une telle redéfinition de la morale chrétienne, et non de l’économie, est l’objectif recherché de la publication de M. Wood et du programme Fordham qu’il représente. En outre, la Russie est la cible principale. Ce qui suit est tiré du site Web du Centre d’études chrétiennes orthodoxes de l’Université de Fordham (c’est nous qui mettons en évidence certains passages) :
Aristotle Papanikolaou, Ph.D., professeur de théologie et titulaire de la chaire de théologie et de culture orthodoxe de l’archevêque Demetrios, a déclaré que l’Église orthodoxe russe s’efforce de redéfinir le discours des droits de l’homme de manière à leur permettre de faire respecter les « valeurs traditionnelles » depuis une dizaine d’années. Cette conception des droits de l’homme ne protège pas un groupe comme Pussy Riot de manifester dans une église, ou un art jugé blasphématoire, et elle est conforme aux lois qui interdisent le mariage homosexuel et la « propagande » homosexuelle. « En temps normal, les gens diraient qu’il s’agit d’une violation des droits de l’homme, et certains chrétiens orthodoxes voudraient dire ‘Non, ce n’est pas le cas’. Nous avons notre propre interprétation des droits de l’homme, et nous sommes en mesure de le faire parce que le concept occidental des droits de l’homme est biaisé et anti-chrétien », a-t-il dit. « Notre projet espère offrir une compréhension plus nuancée de la relation existante entre le christianisme orthodoxe et le langage des droits de l’homme plutôt que l’opposition diamétralement opposée proposée par certains chrétiens orthodoxes, en particulier dans le contexte postcommuniste ». Papanikolaou a également noté que le gouvernement russe utilise également le langage des droits de l’homme et la défense de la liberté religieuse pour justifier son intervention militaire en Syrie.
Par conséquent, « une compréhension plus nuancée de la relation du christianisme orthodoxe avec le langage des droits de l’homme » n’a pas de problème avec les singeries blasphématoires commises dans la cathédrale Christ Sauveur de Moscou (amoureusement reconstruite après avoir été détruite par les bolcheviks) ? Ni avec l’ « art » blasphématoire (qui, en Occident, est souvent subventionné par les impôts des croyants) ? Avec l’endoctrinement de jeunes enfants innocents dans la morale sexuelle alternative (par exemple, dans plusieurs villes américaines « drag queen story hour« ) ? Ni avec un mariage qui ne se limite pas à un homme et une femme ? Ni avec les chasseurs de têtes soutenus par l’Occident qui cherchent à tuer, asservir ou déraciner les chrétiens de Syrie, et qui ont été empêchés de le faire principalement par l’intervention héroïque de la Russie dans ce pays ?
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