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"Que l'Europe soit submergée ou arrive à intégrer tous les migrants, l'Eglise sera toujours là"
Avec Pierre Jova
La réponse des Chrétiens face au défi migratoire est ambivalente, entre une véritable volonté d'accueil et les craintes face à ce qui peut être perçu comme une menace.

Atlantico : Votre livre-enquête, "Les Chrétiens face aux migrants" (éditions Tallandier) commence avec la crise des migrants en 2015. Depuis la question migratoire semble être devenu l'un des axes de débats sur la scène politique. Cette enquête montre une certaine ambivalence de la réponse des Chrétiens face à ce défi entre une véritable volonté d'accueil et les craintes ou le rejet de ce qui peut être perçu comme une menace. Les questionnements que vous soulevez, ne sont-ils pas les même que ceux qui traversent la société de manière plus générale ?
Pierre Jova : Si, précisément. J'ai choisi de m'intéresser aux communautés chrétiennes car c'est en leur sein qu'on entend le discours le plus accueillant et aussi le plus sceptique concernant les migrants. C'est donc un symptôme intéressant de cette controverse. Il n'y a pas de vote ou de catégorie socio-professionnelle qui soient spécifiques aux chrétiens. Ils sont même minoritaires en tant que pratiquants. Mais malgré leur petit nombre, ils sont parmi les plus investis dans l'accueil des migrants. Leur réflexion sur le rôle migratoire est chargée de métaphysique : puisque Dieu s’est fait homme, beaucoup de chrétiens voient dans les migrants l'image de Dieu. C’est une question de salut qui se joue. Toutefois, beaucoup craignent pour l'identité chrétienne de la France, en redoutant que les migrants ne renforcent la présence de l'islam.
Sur cette question importante de l'islam dont se réclament un certain nombre de migrants, quel regard portent les Chrétiens et l'Eglise sur cette "concurrence" importante ?
Le débat sur l'islam est forcément lié à la question migratoire, puisque cette religion n'existait pratiquement pas en France métropolitaine avant les grandes vagues migratoires du 20ème siècle. Mais il faut relativiser, car beaucoup de migrants qui viennent en Europe ne sont pas musulmans. Il y a de nombreux chrétiens d'Afrique sub-saharienne qui, eux, au contraire, renforcent ce paysage chrétien ainsi que les immigrés orthodoxes d'Europe de l'Est.
Par contre, la présence de l'islam ne laisse pas les Chrétiens indifférents. Jusqu'à présent les Eglises insistaient beaucoup sur le dialogue interreligieux et les points communs unissant le christianisme à l'islam. Ces dernières années, il y a une prise de conscience dans un noyau de fidèles qu'il faut aussi proposer le christianisme aux musulmans. Il faut accueillir l'autre, mais être clair sur sa propre doctrine et la partager. Chez les protestants évangéliques, cette idée est forte depuis longtemps. C'est chez eux qu'on observe le plus grand nombre de conversions de musulmans au christianisme, qu’ils soient migrants récents ou Français d'origine immigrée.
Doit-on voir dans l’opposition de certains chrétiens à accueillir les migrants l’affirmation d’un christianisme identitaire ?
La question des migrants divise profondément les chrétiens, à l'image de la société française. La hiérarchie épiscopale et le clergé catholique sont très engagés en faveur de l’accueil et ils attirent donc sur eux les critiques de certains fidèles. C'est moins visible dans le protestantisme mais ces clivages existent tout autant. Il y a des gens qui s'inquiètent du phénomène migratoire pour des raisons sociales et économiques puisqu'ils sont dans des situations précaires et ils vivent mal ce qu'ils perçoivent comme un deux poids, deux mesures.
Ce reproche s'entend dans les Gilets jaunes, pourtant loins des Eglises, et plus largement chez beaucoup de catholiques culturels. Chez les pratiquants, il y a une inquiétude plus métapolitique au niveau de l'identité française et de la nostalgie d'un "âge d'or" d'une France catholique, homogène, stable. Là, on ne touche pas seulement aux migrations mais aussi aux dernières lois de bioethique, à la perte générale des repères et au laïcisme. Cela s’inscrit dans une quête identitaire commune à toute la société : régionaliste, ethnique, genrée... Beaucoup de chrétiens veulent donc exprimer plus fort leur identité confessionnelle, ainsi que nationale. Ce qui ne veut pas dire qu'ils sont tous contre les migrants. Il y a des gens qui affirment leur identité chrétienne ou française tout en étant accueillants. Je pense, comme l’analysait Olivier Roy dans son dernier ouvrage « l’Europe est-elle chrétienne ? » (Le Seuil), que, dans une large mesure, le populisme de droite et les mouvements identitaires sont très sécularisés. Ils folklorisent l'identité chrétienne et la réduisent aux clochers, à la crèche mais ne l'accompagnent pas d’une pratique religieuse nécessaire à la faire vivre.
Est-ce que les Eglises se sont renforcées ou affaiblies à la suite de cette crise ?
C'est difficile à dire : dans la foi chrétienne, il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Au niveau des chiffres, la France se déchristianise depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, mais on assiste aussi à de vrais réveils spirituels. D’un côté, la crise des migrants a divisé les chrétiens entre eux, ouvrant des blessures communautaires. De l’autre, l’urgence humanitaire a renforcé les Eglises, puisqu'elle leur a permis d'accomplir leur mission évangélique de charité et d’accueil. On a vu de nombreuses initiatives fleurir, qui attestent de la créativité chrétienne et de sa bonne santé.