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Lettre ouverte du Conseil de l’Archevêché au Patriarche Bartholomée Ier

N° de protocole : 19.002
Paris, le 18 janvier 2019.
Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique Bartholomée
Istanbul Rum Patrikligi Sadrazam Ali Pasa Cad. No. 35 Fatih 34220 Istanbul TURQUIE
Votre Toute Sainteté,
Le Conseil de l’Archevêché, réuni ce jour sous la présidence de Son Éminence Jean de Charioupolis, Archevêque dirigeant des Églises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, a pris connaissance de courriers que plusieurs Métropolites grecs d’Europe occidentale ont envoyés à nos prêtres et diacres ces derniers jours, leur intimant l’ordre de cesser de commémorer leur propre Archevêque, de rejoindre le clergé des Métropoles grecques, de considérer que, d’ores et déjà, nos paroisses et communautés font partie de ces Métropoles et leur ordonnant enfin de leur remettre tous les documents et registres paroissiaux utiles.
Parallèlement, l’Archevêque Jean a transmis ce jour à la chancellerie diocésaine un courrier de Votre Toute-Sainteté, afin qu’il soit traduit dans les plus brefs délais du grec au français. À première vue, il semblerait que ce courrier aille dans le même sens que celui des métropolites grecs. Son Éminence l’Archevêque Jean se réserve néanmoins de répondre à ce courrier en temps utile, lorsqu’il aura pu en prendre connaissance dans la langue de l’Archevêché, qui est aussi sa langue maternelle.
Au lendemain de la publication par le Patriarcat œcuménique de son communiqué du 29 novembre 2018, annonçant la réorganisation du statut d’Exarchat, qui avait été conféré à notre Archevêché le 19 juin 1999, notre Conseil a publié un communiqué annonçant prendre toutes les dispositions nécessaires afin de répondre de manière légitime à cette décision du patriarcat (voir ci-joint).
En effet, les structures de notre Archevêché ne permettent à aucun autre organe que l’Assemblée générale de répondre à une question d’ordre existentiel concernant le statut de notre corps ecclésial. Ceci reflète à la fois la conscience canonique profonde et l’ordre juridique de l’Archevêché, éléments sur lesquels nous reviendrons plus loin.
Dès le 15 décembre, néanmoins, car aucune prescription statutaire de délai obligatoire ne l’empêchait, nous avons réuni une assemblée pastorale, c’est-à-dire une réunion de tout le clergé diocésain, autour de l’Archevêque dirigeant et du Conseil de l’Archevêché. Au cours de cette assemblée consultative (car non statutaire) à laquelle a participé la quasi-totalité du clergé diocésain de tous les pays où l’Archevêché existe, de nombreuses interventions des pasteurs de nos paroisses ont montré que notre dernier statut au sein du Patriarcat œcuménique avait été une très heureuse et favorable période de l’histoire de l’Archevêché, une période que nous aurions voulu perpétuer. Cependant, dès que l’information de votre décision d’abolir le statut d’exarchat de l’Archevêché a été apprise par d’autres Églises orthodoxes, nous avons été les récipiendaires de propositions d’intégration de notre Archevêché entier au sein d’autres juridictions canoniques.
Notre Conseil a donc pris la décision de convoquer dans les plus brefs délais autorisés, selon l’ordre statutaire qui est à la fois canonique et juridique, une session extraordinaire de l’Assemblée générale, le 23 février 2019, et de constituer une commission spéciale, chargée de préparer cette Assemblée.
La première option que le Conseil a été amené à considérer était celle de demander à Votre Toute-Sainteté que la Commission préparatoire puisse être reçue au siège du Patriarcat œcuménique, afin de mieux comprendre la nature et les raisons de la décision que vous avez prise le 27 novembre dernier et d’explorer les possibilités de résolution de cette situation.
Nous comprenons que notre Archevêché se trouve aujourd’hui, de jure, dans la situation où il se trouvait avant son accueil dans le Patriarcat œcuménique. De facto, néanmoins, nous ne voudrions pas que cette longue et fructueuse période se close sans une rencontre humaine de visu entre les représentants mandatés par nos structures diocésaines. En effet, nous ne pourrons jamais trouver les mots justes pour exprimer notre gratitude au Patriarcat œcuménique pour sa protection canonique pendant toutes ces années. La Sainte Église de Constantinople a veillé au respect des particularités de notre fonctionnement diocésain inspiré par les décisions et les débats du Concile de Moscou de 1917-1918, et nous lui en sommes profondément reconnaissants. Cela montre combien la vocation ecclésiale du Patriarcat œcuménique est véritablement supra-ethnique.
Et cela s’est manifesté très tôt, puisque à peine dix ans après sa fondation en 1921, notre Archevêché, établi dans des circonstances tragiques de l’histoire moderne, a trouvé un refuge canonique au sein du Patriarcat œcuménique de Constantinople. Au moment de l’établissement de notre entité ecclésiale en Occident, le Patriarcat œcuménique n’avait pas encore fondé sa première structure diocésaine sur le même territoire. Lors de l’accueil de notre Église dans le Patriarcat, en 1931, la coexistence de deux structures, l’une grecque et l’autre russe, sur le même territoire, justifiée pour des raisons pastorales, n’a pas empêché le Patriarcat œcuménique de conférer le statut d’exarchat provisoire à notre Archevêché. En 1965, lorsque le Patriarcat œcuménique a décidé, de manière unilatérale et dans l’incompréhension générale, de révoquer son accueil provisoire de 1931, cela n’a pas entraîné la dissolution de l’Archevêché lui-même, mais plutôt sa mutation en « Archevêché orthodoxe de France et d’Europe occidentale », pleinement orthodoxe et indépendant à la fois. Puis, quand le Patriarcat œcuménique, à la demande répétée de feu l’Archevêque Georges (Tarassoff), qui dirigeait alors l’Archevêché, a accepté de reconstruire le lien qui unissait l’Archevêché au Patriarcat œcuménique, votre illustre prédécesseur, le Patriarche œcuménique Athénagore a déclaré que la suppression de l’accueil de 1931 était due à des espoirs d’assurer « la concorde indispensable à la collaboration panorthodoxe et à la convocation du Saint et Grand Concile » (lettre du 22 janvier 1971 du Patriarche Athénagore à l’Archevêque Georges). Ce n’est donc pas l’extinction des raisons pastorales présentes en 1931 qui ont présidé à votre désistement de 1965, mais la volonté de marcher plus résolument vers le Grand Concile attendu et désormais accompli, et auquel notre Archevêque actuel a eu l’honneur de participer, au sein de la délégation du Patriarcat œcuménique. De 1971 à 1999, le statut canonique de l’Archevêché était moins précis : pendant presque trente ans, il a fonctionné de manière auto-administrée, sans être formellement un Exarchat du Trône œcuménique, mais en dépendant tout de même du Patriarcat œcuménique.
En 1999, lorsque vous avez accordé un nouveau statut d’exarchat, non provisoire, à notre archevêché, c’est bien à notre demande que vous l’avez fait, non de votre propre initiative. À cette époque, les négociations entre les responsables de l’Archevêché, alors dirigé par feu l’Archevêque Serge (Konovalov), et les responsables du Patriarcat ont duré plusieurs années. Même si c’est le Patriarcat seul qui a édicté le tome du 19 juin 1999, l’on peut légitimement considérer qu’il était le fruit de relations bilatérales fécondes.
Aujourd’hui, la révocation du tome de 1999 est unilatérale et non concertée. Aucune consultation n’a eu lieu avec les responsables de l’Archevêché pour ce changement de statut canonique. Les raisons pastorales qui avaient présidé à l’acceptation de notre Archevêché dans le Patriarcat œcuménique, raisons qui justifiaient la création d’un Exarchat patriarcal sur le même territoire que celui des Métropoles grecques d’Europe occidentale, ont-elles disparu, surtout depuis 1999 ? Les temps n’ont pas beaucoup changé depuis lors : dans certaines Métropoles grecques, quelques paroisses en langues autres que le grec ont vu le jour, mais elles ne prévalent pas et n’entament nullement l’identité hellénique foncière de ces entités ecclésiales. Située à quelques centaines de mètres de notre Cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, la Cathédrale Saint-Étienne de la Métropole de France n’est pas à proprement parler française, mais elle est elle-même une propriété immobilière d’un État étranger ; de même, on ne compte pas le nombre de prêtres des Métropoles grecques qui ont été et sont toujours rémunérés par la République hellénique et donc soumis à la loyauté qu’implique ce statut social. L’Archevêché, pour sa part, se compose de paroisses russophones, mais aussi de paroisses en langues locales ; toutes continuent de se définir par la tradition russe quant aux célébrations et à l’administration ecclésiale, en raison de l’histoire de l’Archevêché et en l’honneur de ses fondateurs. Notre entité ecclésiale a accompli un chemin d’inculturation incommensurablement plus important que toutes les autres juridictions orthodoxes d’Europe occidentale. Cela s’est traduit également dans la direction diocésaine, puisque plusieurs de ses archevêques étaient des personnes nées en Europe occidentale, alors que, à ce jour, dans toute l’Europe occidentale, seul un Métropolite grec n’est pas né en Grèce.
Si l’Archevêché pouvait être consulté pour une éventuelle reconfiguration des entités ecclésiales du Patriarcat œcuménique en Europe occidentale, nous pensons que des idées plus créatives et certainement plus consensuelles pourraient émerger de la discussion. Nous continuons d’appeler de nos vœux pareille concertation, mais ne pouvons y forcer personne.
Le Patriarcat œcuménique souhaite voir reconnue l’exclusivité de sa juridiction sur l’ensemble de l’Europe occidentale, alors que de multiples patriarcats et Églises autocéphales n’approuvent pas cette compréhension. Si la position du Patriarcat œcuménique était incontestée dans l’Église orthodoxe, il serait logique que le retrait du tome qui conférait à l’Archevêché la qualité d’Exarchat implique automatiquement son démantèlement et la sujétion de ses paroisses aux uniques diocèses locaux. Cependant, cette position ne fait pas l’unanimité dans le concert des Églises orthodoxes, preuve en est que le Saint et Grand Concile de 2016, dont l’ordre du jour comportait depuis 1976 la résolution de ce problème, n’a rien pu décider à ce propos. À ce jour et jusqu’à une résolution conciliaire qui fera autorité pour tous les orthodoxes, force est de constater qu’il y a place pour plusieurs visions au sujet de l’organisation de la présence de l’Église orthodoxe en Europe occidentale.
Bien entendu, la coexistence en Occident de diocèses grecs, antiochiens, russes du patriarcat de Moscou, russes hors-frontières, ukrainiens, serbes, roumains, bulgares, géorgiens, polonais, américains et autres peut-être encore, est une anomalie ecclésiologique. Les études ecclésiologiques les plus récentes montrent que la résolution de cette situation sera complexe ; ordonner par la force une simplification uniquement locale n’est pas nécessairement un gage de contribution positive à la résolution du problème général et global. Cependant, l’histoire de l’Église a connu tant d’entorses à sa tradition théologique qu’il n’est pas interdit d’espérer que ce problème aussi trouvera une solution. Il n’était pas normal que les Sultans ottomans interviennent dans la nomination et la révocation des patriarches de Constantinople - certains de vos illustres prédécesseurs l’ont payé de leur sang -, mais l’Église a enduré cette entorse, dans la douleur et la prière, car elle visait toujours avec fidélité le cap de l’orthodoxie. Les immenses pressions que le pouvoir turc a mise pendant le vingtième siècle sur le fonctionnement synodal du Patriarcat, notamment en interdisant aux évêques non turcs d’y prendre part, comme le voulait pourtant l’ordre canonique, a été une souffrance pour toute l’Église, même au-delà du Patriarcat de Constantinople, mais il s’agissait d’un accommodement raisonnable pour permettre la survie de la Sainte Église dans son berceau historique. Les exemples sont nombreux, pour toutes les Églises, dans toutes les régions, à toutes les époques de l’histoire.
La décision patriarcale du 27 novembre 2018 abolissant le tome du 19 juin 1999 constitue certes un droit inaliénable du Patriarcat qui était le seul signataire de ce document. En revanche, la seconde décision d’assujettir nos paroisses et communautés aux Métropoles grecques n’est pas du ressort unique de la Sainte Église de Constantinople, mais de toutes les parties en présence, à commencer par l’Archevêché sujet à cette décision. Si les Métropolites grecs d’Europe occidentale acceptent cette décision même s’ils n’y ont pas participé, pour la plupart d’entre eux, l’Archevêque Jean n’a pas cette possibilité, car le fonctionnement de notre Archevêché prévoit nécessairement un dialogue entre l’Archevêque dirigeant et les instances statutaires de l’Archevêché pour toute question importante.
Nous connaissons la réticence d’une grande proportion du monde clérical actuel à la participation de laïcs au gouvernement de l’Église et, singulièrement, à l’élection des évêques par une assemblée composée de clercs et de laïcs du corps ecclésial local. C’est pourtant la plus authentique norme ecclésiologique d’institution dans l’épiscopat, comme la doctrine constante de l’orthodoxie l’atteste. Nous tenons beaucoup à cet enseignement, hérité du renouveau ecclésial suscité par le Concile de Moscou de 1917-1918, mais cela ne nous mène pas à revendiquer que tous les autres diocèses appliquent cette ancienne et vénérable tradition.
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