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À quoi sert l'Orthodoxie dans le monde postcommuniste ?
À l’heure du marché global et des politiques néolibérales qui vont avec et plombent le débat, l’irruption du religieux et plus précisément du christianisme orthodoxe dans la vie politique des anciens pays communistes risque-t-elle de mettre en danger la démocratie ? Rien n’est moins sûr et il n’est pas exclu qu’elle contribue même à sa refondation sur des bases plus saines, estime Silvia Serrano dans Orthodoxie et politique en Géorgie postsoviétique (Karthala, 2018).

Cette thèse est exposée avec méthode dans les conclusions réunies dans la séquence finale du livre au titre évocateur : « L’orthodoxie comme populisme » (pp. 281-296). Négligées par les analyses politiques, les mobilisations qui se réclament de l’orthodoxie ont été souvent analysées « comme un signe d’immaturité politique, comme des comportements collectifs proto-politiques ou primitifs ». Leur pertinence, poursuit l’auteure, ne tiendrait pas forcément à l’idéologie qui s’y exprime, « mais à leur capacité à construire une opposition à ce qui est présenté comme étant ‘’la démocratie’’ et ‘’le monde civilisé’’ [l’Occident] ». Elles contiennent une « dimension de défi lancé par les couches populaires aux élites » (p. 283) et pourraient être interprétées comme des phénomènes nouveaux d’adaptation à un contexte particulier marqué par « la dépolitisation de l’Etat qui a accompagné la diffusion du néolibéralisme et de l’économisme depuis l’effondrement de l’URSS » (p. 284).
LES POPES ET LEURS OUAILLES GÉORGIENNES, DES « INSOUMIS » QUI S’IGNORENT ?
Distinct du nationalisme traditionnel qui subit les contrecoups de l’affaissement de l’Etat-nation, le nationalisme orthodoxe « participe d’une quête de souveraineté, de la création d’un espace de contestation, de la restitution de la dimension antagoniste du politique. Dans la mesure où il s’inscrit dans des logiques de repolitisation, il peut être porteur de recompositions positives », écrit-elle avant de conclure sur une interrogation. « Comment transformer l’antagonisme, la confrontation entre ennemis, en agonisme, c’est-à-dire en une confrontation entre adversaires engagés dans une relation de reconnaissance mutuelle ? L’énonciation religieuse du politique est-elle de nature à favoriser la constitution de ce que Chantal Mouffe appelle un ‘’consensus conflictuel’’, condition d’une démocratie agonistique qu’elle appelle de ses voeux ? Ou, au contraire, mène-t-elle à un piège identitaire, à la construction de l’Autre comme figure de l’ennemi, qui désarçonne tout appareillage démocratique. » (p. 285-286).
Les popes et leurs ouailles géorgiennes seraient-ils des « insoumis » qui s’ignorent ? Bien qu’elle ne tranche pas, Sylvia Serrano le laisse entendre, tout en prenant les précautions d’usage [1].
TCHARETSKHILI DE TOUS LES PAYS…
Le livre ne se résume évidemment pas à cette thèse annoncée par petites touches tout au long des chapitres qui précèdent la conclusion. En politiste avertie, c’est ainsi qu’elle este présentée, l’auteure procède à une reconstitution tout en finesse des rapports entre l’orthodoxie et la politique en Géorgie depuis la veille de la perestroïka de Gorbatchev jusqu’au lendemain de la défaite de Saakachvili, en 2012, avec des incursions dans la longue histoire de cette Eglise dont l’autocéphalie remonterait au Ve siècle et qui aura connu, après bien des vicissitudes, un coup de pouce grâce à la politique religieuse initiée par Staline en 1943 (p. 45). On ne saurait se contenter de « la vision monolithique du ‘’vide religieux’’ sous le régime soviétique », insiste-t-elle, en citant une collègue bulgare (p. 57). Ceci vaut d’ailleurs aussi pour l’Eglise roumaine sous Dej et Ceauşescu. Pas plus que la prétention de l’Eglise à assurer le monopole de l’espace public, les aspects obscurantistes et xénophobes des manifestations publiques de l’orthodoxie au cours du processus de « dé-sécularisation » ou encore de « contre-sécularisation » (p. 156) ne sont jamais passés sous silence. L’accent est mis cependant surtout sur la situation des tcharetskhili, « ces couches menacées de déclassement par l’effondrement de l’URSS, puis directement visées par l’équipe issue de la révolution des Roses qui voyaient en eux des suppôts du régime soviétique ». « L’orthodoxie, rappelle-t-elle en retraçant l’itinéraire d’un personnage très impliqué dans la vie de l’Eglise, fournit donc des niches de réussite, voire de revanche sociale, pour ceux-là même qui se trouvaient marginalisés. » (p. 209).
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